Blue Velvet (1986) - de David Lynch
Le film "Blue Velvet" est une expérience mentale dans laquelle il faut se préparer à entrer en immersion dans le monde onirique de David Lynch, en prenant une large inspiration pour traverser ce conte initiatique. Il était une fois un adolescent qui allait devenir un homme. Mais, avant cela, le réalisateur lui impose un rite de passage pour le moins déjanté et violent.
Lynch distille son univers au compte gouttes à partir d'une énigme macabre, la découverte d'une oreille. La résolution apparaît au fil des péripéties de Jeffrey Beaumont, ce jeune homme dont on suppose qu'il a abandonné ses études après l'attaque cérébrale de son père. Il revient dans la maison familiale pour reprendre la gestion de la quincaillerie paternelle jusqu'à ce que le convalescent soit rétabli.
D'emblée, Lynch propose un regard bipolaire sur un monde où tout a son opposé : Sandy, la blonde angélique qui est toute en retenue et Dorothy Vallens, la brune démoniaque et sulfureuse qui éveille le désir ; les parents idéaux qui protègent et ceux qui veulent anéantir : "Appelle-moi papa." menace le tueur ; Lumberton, c'est le cliché de la ville américaine modèle fantasmée où vivent Jeffrey et Sandy, en opposition aux bas-fonds lugubres et industriels où vit Frank Booth, le dangereux psychopathe,... le bleu du velour et le rouge du sang, la vie et la mort.
Si on retrouve cette thématique de l'envers du décor dans d'autres films de Lynch ("Lost Highway"notamment), c'est dans "Blue Velvet" qu'elle est le plus clairement exposée. L'entre-deux, c'est l'état même de Jeffrey Beaumont qui aspire à devenir adulte. Il va braver les interdits familiaux pour vivre par lui-même ses propres expériences. "Jeffrey, tu ne vas pas faire une ballade dans Lincoln Street ?" conseille sa tante Barbara. En effet, c'est la limite qu'on ne peut pas outrepasser entre les deux faces de Lumberton. Pourtant, c'est dans une bâtisse qui se trouve de l'autre côté que vit Dorothy Vallens la chanteuse langoureuse du cabaret "Slow club". Cette limite, Jeffrey Beaumont va aisément la franchir par envie de découvrir le corps de la femme.
Mais l'histoire qui commence comme un film à énigme s'oriente vers l'horreur, à mesure que Frank Booth qui est l'incarnation de la folie et du mal, s'immisce dans l'histoire. Dennis Hopper interprète magistralement ce psychopathe qui inhale régulièrement du nitrite d'amyle (connu comme "poppers"), ce qui lui fait avoir des hallucinations. On s'aperçoit rapidement que Booth maintient la belle Dorothy Vallens sous son joug, en lui imposant des sévices. En effet, il retient comme otages son mari et son petit garçon. C'est ce que découvre Jeffrey qui veut aider Vallens. Pour cela, il est accompagné par une Sandy hésitante (toute jeune Laura Dern), notamment lorsqu'il l'entraîne malgré elle dans son sillage : "Je ne sais pas si tu es curieux ou pervers ?" demande Sandy à Jeffrey "Je ne sais pas encore, à toi de faire le choix." lui répond-il.
"C'est avec des pervers comme Frank que le monde se pourrit de plus en plus." dit Jeffrey à Sandy.
"Blue Velvet" est un film qui fascine avant tout par l'atmosphère qu'il dégage, la force de l'interprétation et la direction des acteurs. Alors que Lynch s'était éloigné de son style habituel pour emprunter les voix d'un cinéma plus commercial, avec notamment "Elephant man" (1980), le réalisateur a subi un terrible revers avec "Dune" en 1984. Dans "Blue Velvet", David Lynch renoue avec la qualité des ambiances oniriques qui donnaient la puissance de "Eraserhead", son premier long métrage en 1977.
Bande-annonce : Blue Velvet - VO