L'Homme des Hautes Plaines (High Plains Drifter) - de Clint Eastwood (1973)
Dès le premier plan du film, on distingue un cavalier lancé au galop qui s'extirpe peu à peu d'une image floue et surexposée. Le mouvement éphémère de la réverbération sur le sol desséché et aride du désert Californien laisse supposer l'entrée dans un univers torride, sec et dépourvu de tout sentiment humain. Pour la réalisation de son premier western, Eastwood reprend le mythe de l'étranger qui ne porte pas de nom et qui arrive de nulle part. Un mythe qui a jalonné le fil de ses succès avec Sergio Leone dans la trilogie des "Dollars". Cette fois-ci, "l'étranger" pousse les portes de l'Enfer sur une musique lancinante d'outre tombe. Le tour de force du film est que Clint Eastwood donne à ce western l'aspect d'un film fantastique.
Comme le suggère l'affiche du film, c'est la couleur rouge qui domine "L'Homme des Hautes Plaines", ce qui lui confère une tension continuelle dans une ambiance très pesante. Là, on entre littéralement dans "La divine comédie" de Dante car l'Enfer se matérialise sous nos yeux de spectateurs, à travers la petite ville de Lago. L'étranger marquera d'ailleurs le mot "Hell", à la peinture rouge, sur le panneau indiquant Lago. A partir de cet instant, tout devient décalé et s'hystérise. Tous les habitants ont mauvaise conscience. Le Shériff est un nain, mais la séquence marquante est quand l'étranger ordonne aux habitants de Lago de peindre la ville en rouge. Le rouge de l'Enfer. Et gare aux brigands qui se risqueront jusqu'à Lago. A ce stade de leur route il ne peut plus y avoir de rédemption. Le rouge dans lequel sera plongé cette petite ville se transformera en flammes lors d'un final violent et impressionnant de destruction.
Avec le brillant scénario de Ernest Tidyman, déjà récompensé d'un Oscar en 1972 pour son scénario de "French Connection", Eastwood développe une histoire de vengeance poussée à son paroxysme. Le précédent Marshal de Lago avait été tué à coups de fouet par trois brigands. Or, les témoins étaient nombreux et n'avaient pas réagis d'aucune manière pour empêcher le massacre. Avant l'Enfer il y a le purgatoire et le personnage de l'étranger, quand il arrive à Lago, sans montrer aucun sentiment pour qui que ce soit, demande des comptes et invite, parfois de manière violente, tout un chacun à répondre de ses actes, au risque de brûler dans les flammes de l'Enfer.
L'étranger serait-il le Diable lui-même, venu sur Terre à Lago ? Les clins d'oeil à Dante sont nombreux. On retrouve même l'installation des tables du "Banquet" (Convivio).
Si ce premier western d'Eastwood comme réalisateur est brillant, on peut dire aussi qu'il est très misogyne. Même si les codes et les valeurs des westerns classiques avec leur morale puritaine américaine sont bousculées, les idées testostéronées d'Eastwood lui font commettre des fautes de goût qui viennent heurter la sensibilité du public d'aujourd'hui qui voit d'un plus mauvais oeil l'avilissement des femmes dans les films. En effet, dans le premier quart d'heure du film, si l'étranger à déjà tué trois hommes, lorsqu'il emmène ensuite une femme de force dans une grange, c'est bien pour lui faire subir un viol. Nommons les choses telles qu'elles sont.
Très bon film qui traite surtout de la lâcheté des hommes.
► High Plains Drifter (1973) — Official Trailer