La Tête haute - de Emmanuelle Bercot (2015)
Les tribunaux pour enfants sont une spécificité du droit français. Créés en 1912, ils jugent des mineurs pour des contraventions, délits et crimes. C'est l'ordonnance du 2 février 1945 qui institue la fonction particulière du juge des enfants qui statue en matière pénale et, à partir d'une nouvelle ordonnance du 23 décembre 1958, va statuer en civil afin qu'en amont il puisse protéger les enfants en danger.
Avec plus ou moins de succès, le cinéma français s'est souvent évertué à montrer la relation particulière qui peut lier le magistrat à l'enfant. Une relation privilégiée diront certains. En effet, ce juge atypique peut prendre des décisions qui auront des incidences sur l'éducation et la vie du jeune. Il peut, de sa seule appréciation, considérer qu'une famille est toxique et prendre la décision de placer l'enfant pour l'en éloigner. En cas de délit, il peut le condamner si nécessaire. On dit que le juge des enfants a "une double casquette", celle de pouvoir protéger ou bien condamner un enfant. C'est l'ambivalence de cette relation qui peut inspirer les auteurs.
Déjà, le roman de Gilbert Cesbron, "Chiens perdus sans collier" (1954), relatait les itinéraires de jeunes gens délinquants et la relation qu'ils entretenaient avec leur juge. Le livre a été un succès populaire porté à l'écran par Jean Delannoy en 1955, avec Jean Gabin qui interprétait le rôle du juge des enfants Julien Lamy. Dans le cadre des affaires pénales qu'il avait à instruire, le juge Lamy rencontrait des mineurs délinquants avant tout victimes d'un environnement familial carencé. La mise en scène mettait en exergue l'investissement personnel du magistrat envers ces enfants considérés comme des boucs émissaires de la société, des laissés pour compte, avant d'être des auteurs de méfaits. Ainsi, le juge pouvait recevoir des jeunes gens à son domicile ou bien envoyer du courrier au petit garçon placé qui n'a pas de parents, portant sur eux le regard bienveillant du pater familias : "ça c'est de mon poulailler." dit le juge pour parler de ses ouailles. A cette époque comme aujourd'hui, ces enfants livrés à eux et délaissés pouvaient être à la merci des prédateurs de toutes sortes. La séquence du pédophile le montre bien lorsque le petit Alain Robert est abordé par cet homme au bureau de Poste qui lui propose de retrouver ses parents. Bien que le contexte juridique ait évolué, le film de Delannoy est encore très juste et plaisant à voir. Il reste pourtant un véritable plaidoyer pour la justice des mineurs qui doit privilégier l'éducation de l'enfant dans toute réponse pénale.
En 1959, François Truffaut adresse une réponse cinglante à Delannoy en réalisant "Les 400 coups" et la première apparition d'Antoine Doinel qui se retrouvera dans le bureau d'un juge des enfants qui l'enverra dans un centre de redressement après le vol d'une machine à écrire.
"La Tête haute" d'Emmanuelle Bercot est sorti dans les salles le 13 mai 2015. D'emblée on est saisi par le réalisme du sujet traité et la violence qui transpire du personnage de Malony, cet adolescent que l'histoire accompagne dès ses six ans jusqu'à ses dix sept ans. Tout n'a toujours été que violence pour ce petit garçon qu'une mère immature (sara forestier) abandonne un jour dans le bureau d'un juge des enfants (catherine deneuve). En fait, Malony (rod paradot) renvoie en pleine figure de la société, par effet de réfraction, une infime parcelle de la violence qu'il a toujours subi. Il vole, il hurle, il violente et casse sans aucun signe de remords. Pour ce mineur, la loi et l'interdit n'ont pas de prise, tout glisse sur lui, sans l'ombre d'une peur, dans un total sentiment d'impunité.
En fait, deux adultes fiables vont se pencher sur lui avec un regard bienveillant, comme des fées qui se pencheraient sur un berceau qu'il n'a jamais eu. D'un côté il y a la juge des enfants qui va l'investir de longues années et lui accorder une attention particulière. D'un autre côté, il y a Yann, l'éducateur de Malony qui voit en lui l'enfant qu'on ne peut mettre dans aucune case, cet incasable qu'il a peut-être lui-même été. On distingue, d'ailleurs, dans la très bonne interprétation de Benoit Magimel, un individu écorché vif et fragile qui se situe dans la réparation de ses propres failles.
Bien qu'abordant la même question mais d'un point de vue diamétralement opposé, "Chiens perdus sans collier" et "La Tête haute" voient la fin du parcours chaotique des jeunes délinquants de façon similaire, comme une rédemption. C'est la paternité qui viendrait marquer la fin de la cavale délinquante, comme si la seule arrivée d'un nouveau-né pouvait faire table rase sur l'histoire d'un ascendant. Avec cette vision, c'est faire porter beaucoup trop de choses à l'enfant à venir. Pourtant, c'est cette conclusion, aussi simpliste soit-elle, qui est envisagée par Jean Delannoy en 1955 et par Emmanuelle Bercot soixante ans plus tard.
Notons encore que l'enfant sans limite est à la mode ces derniers temps dans le cinéma. Cet enfant hyperactif qui casse tout sur son passage et qu'on aperçoit déjà dans "Mommy" (2014), film du québécois Xavier Dolan qui avait été récompensé par le prix du jury du festival de Cannes 2014. Là aussi, la relation de l'adolescent à sa mère est ambiguë, pour ne pas dire empreinte d'un climat incestueux où les places semblent interverties et l'enfant porte sa mère dans une forme de syndrome de parentalisation (NOTA : "processus qui amène un enfant ou un adolescent à prendre des responsabilités plus importantes que ne le voudraient son âge et sa maturation")
Bande-annonce : Mommy VOST
Ces jeunes gens inquiètent et questionnent beaucoup. Ce sont les fruits d'une société qui n'offre plus vraiment d'alternatives, ni de repères moraux et dont le dieu nouveau ressemble à un billet de banque.
Pour appuyer mon propos, je noterai encore le film "Une mère" (2015) qui sort cette semaine avec Mathilde Seigner. On prend les mêmes ingrédients et on recommence.
Bande-annonce "LA TÊTE HAUTE" (sortie le 13 mai 2015)