Reste-t'il encore des mots après l'horreur ? Peut-on expliquer Auschwitz ? "Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas" est un texte quintessence, un texte minéral, un texte où les actes ont plus de poids que les mots.
Ils sont rares ces textes qu'on voudrait apprendre par coeur et puis, réunir ensuite ses véritables amis pour offrir la musicalité des mots qui n'en sont plus, mais deviennent des notes. Le Kaddish est une prière juive faite aux morts. Dans "Kaddish...", Kertèsz y affirme son refus de la paternité après ce qu'à vécu l'humanité et son rapport au mal.
Après la lecture, je suis incapable de dire si le propos est pessimiste ou s'il y a de l'espoir en l'espèce humaine ? Avant tout, j'ai lu ce texte avec beaucoup d'humilité, il m'entraîne vers ce que laisse entrevoir Kertèsz par-dessus son épaule. Là est toute la force de la littérature de Kertèsz, c'est de faire côtoyer au lecteur, un peu, cette expérience humaine qui est pourtant indicible, effroyable. Auschwitz serait à l'origine du crime en la croyance de Dieu : "...j'écris parce que je dois écrire, et si nous écrivons, nous dialoguons, ai-je lu quelque part, tant qu'il y avait un dieu, nous dialoguions vraisemblablement avec Dieu, et à présent qu'il n'existe plus, on dialogue tout au plus avec les autres hommes, et le plus souvent avec soi-même, c'est-à-dire qu'on parle tout seul ou qu'on marmonne dans sa barbe, ..." (p.28)
En fait, le texte est d'une étrange obscurité car il questionne frontalement notre espérance du monde et des hommes, il interroge notre désir de création, voire de procréation. Imre Kertèsz amorce un étrange dialogue avec cet enfant qu'il n'aura jamais : "Cette question - ma vie considérée comme possibilité de ton existence." (p.23) Comment donner la vie lorsqu'une part de soi est morte ? : "... je n'ai absolument rien à faire depuis que je n'ai plus rien à faire sur cette terre, ..." (p.61)
Mais faut-il tenter d'expliquer ce qui est absurde ? : "C'est fini pendant un bon bout de temps il n'y aura plus rien de sérieux, du moins en ce qui concerne l'image du pouvoir, de n'importe quel pouvoir. Et cessez enfin de répéter, dis-je vraisemblablement, qu'Auschwitz est le fruit de forces irrationnelles, inconcevables pour la raison, parce que le mal a toujours une explication rationnelles, il se peut que Satan en personne, ou bien Iago, soit irrationnel, mais ses créatures sont des êtres parfaitement rationnels, ..., en revanche, dis-je vraisemblablement, écoutez-moi bien, ce qui est réellement irrationnel et qui n'a vraiment pas d'explication, ce n'est pas le mal, au contraire = c'est le bien." (p.56)
Après l'expérience concentrationnaire, Kertèsz semble survivre plutôt que vivre. L'auteur affirme que son processus de création n'est stimulé que dans un environnement menaçant, soumis au manque et à la pénurie. C'est un aveu thérapeutique, semble t'il.
Je noterai encore l'espoir, la liberté, le libre arbitre, s'il devait y en avoir dans l'ouvrage, ne viennent pas de la "Femme". Celle-ci serait, à certains égards, plutôt menaçante mais moteur du processus créatif.
Livre sublime qui devrait être sur toutes les tables de nuit.