Demande à la poussière - by John FANTE (1939)

"Demande à la poussière" est un roman initiatique. Un livre qui décrit toute la beauté de la jeunesse. Cette période de la vie dont les sentiments les plus contradictoires nous traversent. Et puis il y a la vie qui, sans crier gare, nous rappelle son âpreté. D'un côté on est entraîné vers le beau, ce qui apaise le quotidien, les préoccupations pour l'environnement, les étoiles du sud et la poésie. D'un autre côté, on côtoie tous les excès, la mort, la haine, la drogue. Mais la jeunesse est avant tout une période d'espoir et de projection vers le monde.

John Fante réussit la description de la vie de son double, Arturo Dominic Bandini, jeune homme de vingt ans qui traîne son espoir de devenir écrivain, comme Sisyphe portait son rocher. A cet âge, tout est possible, tous les succès, tous les amours. Et puis la vie reprend son sempiternel mouvement oscillatoire.

Le lecteur de "Demande à la poussière" s'engage dans l'errance de ce jeune apprenti écrivain convaincu de son talent. Après qu'il eut quitté le domicile familial du Colorado, il rejoint un hôtel miteux sur Bunker Hill, en plein coeur de Los Angeles. Là, il est happé par le quotidien de la cité qui le rappelle au dur principe de réalité. Il ne lui reste guère d'argent tiré de la seule nouvelle qu'il a publiée : "Le Petit Chien Qui Riait". Maintenant que ses gains se sont taris, il vit au jour le jour. Sa logeuse le relance pour ses loyers en retard et l'épicier japonais lui fait encore crédit.

Sa rencontre avec Camilla Lopez, jeune mexicaine envoûtante, va être fondatrice dans sa découverte de l'amour et autres paradis artificiels. Aussi, l'expérience physique avec Vera Rivken sera initiatique quant au respect qu'il a pour les femmes, elles-mêmes confrontées aux violences machistes. Avec Arturo, nous circulerons entre les cuites à la bière ou au Whisky, les rencontres de mauvais bougres et les tremblements de terre Californiens.

John Fante dépeint un univers déjanté d'une Amérique sale et poisseuse sur laquelle la Grande Dépression avait posée son étau (le livre est publié en 1939). Les réformes du New Deal de Roosevelt commençaient à porter leurs fruits, mais la population s'en remettait à peine. Bien sûr, nous ne sommes pas dans l'univers "white trash" d'Harper Lee ou bien d'Erskine Caldwell ("Le petit arpent du Bon Dieu" bientôt commenté dans Le Monde de Kikushiyo), quand une décennie auparavant la misère et le chômage s'étaient abattus sur le pays tout entier après la crise de 29 (cf. la littérature de W. Faulkner et J. Steinbeck). Avec Fante, si la misère est encore présente, elle l'est surtout chez les gens, dans leurs foyers et leur mentalité, plutôt que provoquée par un contexte économique qui s'améliorait : "Elle habitait là-dedans dans un studio. Il y avait un lit Murphy escamotable, une radio et des meubles bleu sale. Le tapis était couvert de miettes et de saleté, et dans un coin, étalé comme un nu, traînait une revue de ciné. Il y avait tout un tas de poupées de foire aussi, souvenirs de folles nuits passées à la plage dans les parcs d'attractions. Il y avait un vélo dans un coin, les pneus à plat attestant qu'il ne servait plus depuis longtemps. [...] Une fois dans la cuisine j'ai eu le droit de sentir les ordures dans l'évier, avec vue sur les poêles graisseuses sur le fourneau." (p.236)

Dans "Demande à la poussière", tout est toujours très simplement dit dans une écriture qui n'est ni ampoulée, ni bavarde. Bien entendu, on perçoit le style de Fante, empreint d'humour et qui n'est jamais académique. Le passage du voisin d'Arturo qui, parce qu'il voulait un steak, va voler un veau chez un fermier, m'a fait bien rire. La scène est terrible mais pleine d'humour.

10/18 Christian Bourgois Editeur

ISBN 13 : 9782264033024

Titre original : Ask the dust