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le Monde de kikushiyo
5 juillet 2014

Les femmes de la nuit - de Kenji Mizoguchi (1948)

(73 mn) - Quel que soit le bilan d'une guerre, à la fin ce sont, hélas, toujours les femmes qui sont perdantes et doivent payer le lourd tribut. Sur tous les continents, à toutes les époques, dans tous les conflits, "Malheur aux vaincues." Après le 6 août 1945 et le largage de Little Boy sur Hiroshima, puis le 9 août et Fat Man qui explose sur Nagasaki, le Japon capitule sans condition le 14 août 1945.les femmes de la nuit C'est la fin de la Seconde Guerre Mondiale.

Les femmes sont, non seulement les premières victimes d'une société masculine qui doit expier ses fautes, mais elles doivent en plus supporter la misère et soutenir leurs enfants dans les cités détruites. Elles circulent à travers les méandres des ruines du Tokyo de l'immédiate après guerre. C'est la société qui va précipiter les plus vulnérables dans les recoins sordides afin de les livrer à la prostitution.

Mizoguchi s'inspire du néo-réalisme italien de l'après-guerre. Particulièrement les films de Roberto Rosselini, de "Rome, ville ouverte" (1945), mais surtout d' "Allemagne année zéro" (1948) dans lequel un enfant pose son regard sur les ruines de Berlin, un regard dépressif empreint d'une lucidité hors du commun. Ce sont des sources qui vont fortement influencer les mouvements de caméra du maître nippon. Désormais, Mizoguchi quitte les studios de la Shōchiku (松竹) pour tourner en décors extérieurs, dans le Tokyo détruit par les bombardements américains. Ce décor "naturel" donne une plus-value évidente à l'histoire de Fusako Owada et sa soeur Natsuko, montrant sans fioritures la misère qui va déclencher leur descente aux enfers. Pour ces mêmes raisons, "Les femmes de la nuit" a une valeur documentaire indéniable, car les images en noir et blanc montrent la ville de Tokyo et la manière dont le coeur de la ville reprend peu à peu ses battements d'après-guerre.

Pour montrer que la question de la prostitution concerne l'ensemble de la société, Mizoguchi place sa caméra très en hauteur et commence le film par un très long balayage des toits de Tokyo en travelling, puis l'image plonge au coeur d'un quartier qui pourrait être Yoshiwara, épicentre de la prostitution Tokyoïte. Ce célèbre quartier sera au centre de l'ultime film de Kenji Mizoguchi en 1956 "La rue de la honte". Cette fois, c'est non seulement l'hypocrisie masculine qui est mise en exergue, mais surtout la violence des femmes entre elles. Lorsqu'on est loin des repères sociaux qui réglementent les interactions entre les hommes, alors se développe une société parallèle qui crée ses propres codes. C'est la loi du plus fort.

Étonnement, il est rare de voir dans le cinéma japonais, souvent très esthétisant et éthéré (en tout cas à l'époque des maîtres nippons du 7ième Art, des années 40, 50 et 60), une telle violence. Des femmes se battent, s'agressent et s'invectivent : "Tu veux te piquer ?" demande à Fusako une vendeuse ambulante, propos souffrant pour l'époque de quelque incongruité. Et puis, de manière surprenante, la rédemption arrivera avec la forme d'un vitrail de l'icône de la Vierge à l'enfant.

Mizoguchi ne  se démarque pas de la thématique de la prostitution qu'il traite dans la plupart de ses films. Les femmes sont, une fois de plus, victime des exigences d'une société masculine. Et la violence entre elles n'est rien comparée à celle, incommensurable, que leur inflige cette société. En fait, "Les femmes de la nuit" est une oeuvre féministe qui ne laisse pas indifférente quant au sort réservé aux japonaises prostituées d'après-guerre.

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