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le Monde de kikushiyo
29 mai 2014

Regarde les lumières mon amour - Annie Ernaux (2014)

regarde les lumières mon amourRoland Barthes, dans une entrevue télévisée de 1957 décrit son ouvrage "Mythologie" (Ed.Seuil) comme étant l'analyse d'un catalogue de matériaux qui tissent notre vie quotidienne. Une liste exhaustive qui va d'une simple savonnette à un steak frites, ou bien encore le Tour de France. Il précise : "Le livre se présente comme une collection de matériaux, d'analyses de mythes de la vie quotidienne moderne. Ces mythes font partis de mon actualité, comme ils faisaient partis de l'actualité des autres français. J'essaie de voir en quoi ces matériaux sont les grandes représentations collectives rappelant par la même ce qu'était le mythe autrefois et en quoi ces représentations sont bien de notre temps et sont produites par notre société et par notre histoire." Jean Baudrillard, dans un ouvrage de 1970, annonçait que la "société de consommation" porte en elle sa contestation.

Je pense que la démarche d'Annie Ernaux est, théoriquement, très proche mais pas similaire à celle de Barthes car elle ne décrypte pas mais ne fait que montrer. L'auteure écrit sur un matériau de notre vie quotidienne, l'hypermarché. On sait qu'Ernaux expose sa vie comme un objet de littérature pour tendre ensuite vers l'universel. C'est encore le cas dans ce nouvel ouvrage "Regarde les lumières mon amour" qui n'est pas un roman mais plutôt un témoignage paru dans la nouvelle collection du Seuil, dirigée par Pierre Rosanvallon "Regarde la vie". Pendant un an, Annie Ernaux va écrire sur sa propre expérience de cliente de l'hypermarché Auchan dans le centre commercial "Les 3 Fontaines" à Cercy-Pontoise dans le département du Val-d'Oise.

Dans le journal de toutes ses visites, sur 70 pages environ, elle décrit méticuleusement tout ce qu'elle observe au jour le jour. Un groupe d'adolescentes voilées, le vendeur de la poissonnerie, la période de Noël, une femme noire, le rayon fruits et légumes, différentes promotions, etc. En fait, il y a un agencement du lieu, une esthétique censée faire acheter les consommateurs que nous sommes, tout est prévu pour.

Ce qu'il y a de fascinant avec Ernaux, c'est que tout est si simplement dit que son magasin pourrait aussi être celui dans lequel je fais mes courses, tout est tellement identique.

On a beaucoup critiqué l'ouvrage pour sa simplicité, s'offusquant qu'une auteure puisse écrire "des pages blanches", car quel est l'intérêt de donner le prix du kilo de pommes. "C'est anecdotique".

Je pense au contraire qu'en décrivant modestement, Ernaux transmet beaucoup d'humanité. Par certaines tournures, elle montre que nous ne sommes pas tous égaux devant le contenu de nos caddies, ne serait-ce que dans le choix des produits, qu'ils soient discount ou bien bio. Tout cela éclaire la réalité économique des uns, qui rencontrent dans un même lieu d'autres qui sont moins privilégiés. Enfin, les fameuses caissières de supermarchés, celles-là même qu'on observait du bout des files d'attente. Ces mêmes caissières qui disparaissent peu à peu pour être remplacées par des caisses automatiques. Drame considérable qui marque l'effondrement de ces commerces qui se déshumanisent un peu plus et pourtant semblaient être des vecteurs de lien social.

Quoiqu'il en soit, cet ouvrage qui est un excellent exercice de style ne laisse pas indifférent.

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