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le Monde de kikushiyo
30 mars 2014

En finir avec Eddy Bellegueule - d' Édouard Louis (2014)

"En finir avec Eddy Bellegueule" est paru en janvier 2014 aux Éditions du Seuil.

En finir avec Eddy BellegueuleMalgré le sigle "roman" inscrit sur la première page, l'auteur y décrit de manière autobiographique sa propre histoire. L'histoire d'un petit garçon qui a le tord d'être un peu trop efféminé aux yeux de son entourage. Dans un village de la Somme, en Picardie, ce stigmate est une marque indélébile qui blessera l'enfant dans son apprentissage de la sexualité. Là-bas, les petits garçons savent très tôt qu'ils iront à l'usine, alors à quoi bon travailler à l'école. Il est naturel de s'affirmer dans le football, l'alcool, les filles. Mais voilà, Eddy sait qu'il est attiré par les garçons. Ses parents sont conscients d'avoir un fils "différent". Pourtant, sa mère n'est pas peu fière qu'Eddy réussisse à l'école.

En plein vingt et unième siècle, il y a encore des pans de la société française qui fonctionnent en autarcie, repliés sur eux-mêmes, et dont l'ignorance du monde n'a d'égal que leur précarité sociale. Édouard Louis décrit une société de l'exclusion où l'on n'assume pas la méconnaissance de sa culture. Par conséquent, ce qui est différent doit être rejeté. Toutes les différences renvoient à une anormalité dont il faut se protéger. Alors, on rejette dès l'enfance celui qui est ou qui s'affirme différemment : l'homosexuel, le noir, l'arabe, le juif... Pour fuir cette méchanceté, l'auteur n'aura que deux échappatoires possibles, celui de la mort ou bien celui de la fuite vers un monde plus ouvert, normal.

"En finir avec Eddy Bellegueule" est un livre très juste, mais très cruel. Y transpire une violence sournoise entre enfants qui est insoutenable, particulièrement lorsque le petit Eddy arrive au collège et que deux grands vont en faire leur souffre-douleur en lui infligeant des sévices très sadiques. Le passage du crachat est particulièrement intenable. Mais qui protège cet enfant ?

En période de crise, il n'est pas de bon ton de critiquer les plus démunis, car ce sont avant tout des victimes. Certes. Mais suivons quelque peu ce jeune auteur qui nous ouvre les portes d'un monde de l'ignorance, de la méchanceté et du rejet qui est en train de prendre de l'ampleur dans toutes les strates de la société française. En ce jour d'élection, je ne peux m'empêcher de penser à ce parti de l'exclusion qui, peu à peu, prend le pouvoir en tissant sa toile sur les fondations de la haine de l'autre.

Comme je l'ai déjà dit (cf.livre "Le noir est une couleur" de Grisélidis Real), j'aime beaucoup la littérature qui dérange et qui nous rappelle que nous sommes loin d'être une société parfaite, loin de là. C'est un pavé lancé dans la marre de notre routine quotidienne. L'auteur est un génie de 21 ans qui fait mouche dès son premier roman. Mais, en même temps, lorsqu'il dénonce de manière très crue, son quotidien familial, il sait qu'il referme pour longtemps la porte du domicile familial qu'il quitte sans se retourner. Ses proches l'excuseront-ils un jour d'autant d'allégations ? Quoiqu'il en soit, l'auteur ne profite pas de ce roman pour faire une tribune contre les pauvres, bien au contraire, c'est avant tout un livre qui laisse percevoir beaucoup d'humanité et d'espoir.

Souvenons-nous qu'Édouard Louis est issu d'un milieu modeste. Actuellement, son succès fulgurant en questionne plus d'un, notamment du côté des cercles parisiens qui adorent cultiver l'entre soi. Ainsi, le magazine "Le Nouvel Observateur", souvent connu pour ces enquêtes voyeuristes, partait, il y a peu, au village d'Hallencourt, pourtant jamais cité dans le livre, sur les traces de la famille de l'auteur. Pourquoi ? On se le demande. Est-ce nécessaire d'aller vérifier la véracité du contenu d'un roman ? Dans son blog, Édouard Louis explique «Je ressens une sorte de haine diffuse du transfuge de classe, toujours suspect, et dont on recherche les secrets de l’ascension - afin de bien rappeler que son intrusion (...) est illégitime.». Un auteur des classes populaires inspirera, hélas, toujours de la méfiance et devra sans cesse prouver sa légitimité. Mais d'autres avant lui ont déjà pris ce chemin sinueux, comme Albert Camus ou Michel Onfray.

N'oublions pas que nous croisons tous les jours des petits Eddy Bellegueule. Les accepterions-nous près de nous, tels qu'ils sont ?

 

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Commentaires
E
Dès les premières pages de ce livre, nous faisons la connaissance d'Eddy dans un univers qui paraît parfois, être d'un autre temps, dans des relations familiales violentes et humiliantes.<br /> <br /> Le héros (ou l'anti-héros) fait tout pour s'adapter à son environnement, il souhaite être comme les autres, cacher qui il est vraiment, ne pas se distinguer, disparaître peut-être...<br /> <br /> J'ai particulièrement apprécié votre paragraphe soulignant l'ignorance et le rejet de l'autre et me pose la question de la responsabilité de chacun dans l'acceptation de la différence au quotidien. Il semble essentiel de laisser toute la place à la communication, à l'expression sous toutes ses formes, aux échanges de point de vue pour ouvrir à la réflexion, pour tendre vers la connaissance, la culture et l'ouverture d'esprit.<br /> <br /> Merci pour votre vision humaniste et merci à Edouard Louis pour cette belle oeuvre.
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