Magazines consacrés à La Grande Guerre - 2014 - Géo Histoire - Télérama Hors-Série - Historia - Lire
Bien entendu, l'année 2014 va être consacrée aux commémorations de la déclaration de la Grande Guerre de 1914 - 1918 et tout ce qui va de pair avec le traitement du centenaire. Les rayons des libraires foisonnent de livres. Les cinémas redonnent une place à des vieux films noir et blanc. Les collectivités déterrent leurs trésors du patrimoine et inaugurent des tas d'expositions.
Déjà, en ce début mars 2014, il faut vraiment y mettre du sien pour passer à côté de tout cela et ne pas tout connaître de cette tragédie du XX° siècle, tant nous sommes submergés, notamment par des "Hors-Série", des "Éditions Spéciales" et autres "Suppléments". Et pour ceux qui sont plutôt tournés vers la télévision, je suppose que les reportages sont nombreux. La particularité de cette commémoration est qu'elle va durer quatre années, alors autant savoir tout de suite de quoi ça cause, n'est-ce pas ? Depuis le début de l'année, pour avoir lu pas mal de magazines parus dans les kiosques, qui traitent de cette période, j'ai voulu m'arrêter sur cinq d'entre eux qui, me semble-t'il, sortent du lot. Ils me paraissent exhaustifs dans leur manière de traiter cette période, un lieu, une condition, une thématique.
Pour commencer, il faut rendre à César ce qui est à César, la palme de l'exhaustivité revient assurément au magazine "GEO HISTOIRE - La première Guerre Mondiale" (Décembre 2013 - Janvier 2014). Après la lecture de "1re partie 1870 - Août 1914" sur la société civile et artistique, ainsi que les racines de cette déflagration mondiale, j'ai pu mettre un peu d'ordre dans mes connaissances. On sort des poncifs maintes fois réchauffés dans de nombreux magazines pour entrer dans des sujets de fond, bravo. A l'origine, il y a ce qui était latent quant aux anciennes rancoeurs mal digérées après la défaite de Napoléon III à Sedan en 1870 et qui privait la France de l'Alsace et la Moselle, véritable spoliation territoriale. Il y avait aussi la crainte d'une Grande Allemagne puissante militairement, dont la natalité était très active. La nation française craignait encore une Allemagne qui commençait à étendre son empire en Orient et en Afrique. Dès 1911, après la "Crise d'Agadir" les états étaient englués dans des ententes qui complexifiaient la carte de l'Europe. La banque de photographies est fournie et souvent inédite pour les non initiés, ce qui est mon cas. Ces images viennent apporter un complément à ma lecture de "1914, la grande illusion" de Jean-Yves Le Naour (Éditions Perrin, 2012), bientôt commenté par le Monde de Kikushiyo.
Dès le début des années 1910 on perçoit déjà les angoisses de la guerre. Pourtant, la grande faucheuse est encore lointaine pour ces enfants qui font des châteaux de sable sur la plage du Pouldu cet été 1914 (cf photographies) ou pour ces employés qui forment un piquet de grève devant les usines Renault de Billancourt en décembre 1913. Jaurès n'a pas encore été assassiné.
Reconnaissons que l'historien qui, pour ce Centenaire, tire son épingle du jeu c'est Jean-Yves Le Naour. Il est partout. On appréciera son entretien "En 1914, tous prévoyaient une année de paix" (p.22). Le Naour est très demandé, les magazines se l'arrachent. On verra encore le dossier que consacre le magazine "Historia" mars 2014 - N°807 (nouvelle formule) à la vie dans les tranchées et l'article de Le Naour : "Quatre ans au fond d'un trou !".
Et puis, dans "GEO HISTOIRE - La première Guerre Mondiale" - "1re partie 1870 - Août 1914", il y a "Les clés pour comprendre" (p.101) et aussi des cartes très claires et explicites qui présentent les "Triples Alliances", les "Triples Ententes", les frontières d'Etat en 1914, les Territoires perdus par l'Empire ottoman à l'issue des guerres balkaniques (1912-1913). Bref, il y a tellement de conflits actuels, tellement de tensions que je comprends mieux à l'aune des enjeux stratégiques et géopolitiques des années 10. C'est étonnant comment cette période de la fin XIX°, début XX° peut éclairer notre actualité. J'ai toutefois une critique, ou plutôt un regret. C'est que "GEO HISTOIRE" ait, dans la "1re partie 1870 - Août 1914", beaucoup (trop ?) développé la tentation d'expansion du Kaiser dans sa ruée vers l'Est "Quand le Kaiser rêvait de Bagdad" (p.26), au détriment de l'empire colonial allemand et ses colonies africaines qui étaient pourtant bien réelles depuis la conférence de Berlin de 1885 (Togoland et Kamerun). Le Cameroun combattit aux côtés du Kaiser jusqu'en 1916.
Et, ce 28 juin 1914, il y a "Cet attentat qui a bien failli échouer" (p.59). L'attentat de Gavrilo Princip qui, à Sarajevo, assassine l'archiduc François-Ferdinand et l'impératrice Sophie. C'est plus le jeu des Alliances entre nations qui s'en suivra qui mettra le feu aux poudres, plutôt que l'attentat lui-même.
"GEO HISTOIRE" - La première Guerre Mondiale" - "2e partie 1914 - 1918" (février - mars 2014) s'immisce "au coeur des grandes batailles". D'emblée, on est plongé dans l'horreur avec cette photographie d'un jeune soldat allemand défiguré qui a perdu ses globes oculaires. Il est examiné par des médecins. Il y a ensuite l'entretien passionnant de Gerd Krumeich, historien allemand : "Il y a eu jusqu'au bout, un tel aveuglement..." (p.25). Les généraux allemands savaient, dès le 8 août 1918 que la guerre était perdu, alors pourquoi l'ont-ils poursuivie si longtemps ? Se souvient-on que le coup ultime et fatal porté à l'armée allemande le fût par son propre peuple ? C'est la légende du "Dolchstoß" (le coup de poignard dans le dos) de la révolution d'octobre 1918. L'article sur "La grande défaite des stratèges" (p.31) me conforte sur le fait qu'en 1914 la France n'était pas prête pour la guerre, ni même ses généraux qui étaient pris entre l'enclume du pouvoir politique et le marteau des décisions militaires à prendre en étant sous-équipés. S'il n'y avait pas eu autant de morts en août 1914, j'en rirais presque en pensant à cette armée qui partait à l'offensive avec des régiments d'artillerie munis de canons de 75. Alors que la "Grosse Bertha" allemande de plus de 400 mm désarçonnait, voire fauchait nos fantassins (et leurs fameux pantalons garance pas des plus discrets).
Le Magazine "Historia" de mars 2014 consacre un dossier sur "La Grande Guerre, Quatre ans d'aberrations dont on ne s'est toujours pas remis...". Articles très courts mais non moins originaux et qui abordent la Grande Guerre sur un champ très vaste. En le feuilletant en librairie, je dois reconnaître que je l'ai acheté pour une photo. Celle de la page 31 "Le vrai visage de la guerre". Cette gueule cassée dont je ne peux détourner le regard. Est-ce du voyeurisme de ma part ? Sûrement, mais mélangé à de la fascination. Celle d'essayer de comprendre, encore et encore comment cette "boucherie" a pu avoir lieu ?
"A l'Ouest, la drôle de guerre des Américains" (p.44), évoque l'arrivée en France de l'Armée américaine. En matière de politique internationale, les États-Unis qui débarquent en Europe ont aussi peu d'expérience que leur président Woodrow Wilson qui pensait organiser ses réformes sociales plutôt que de s'engager dans le conflit européen : "Le pays est profondément marqué par la guerre de Sécession et ses 600 000 morts,..." (p.45). Contrairement à ce que je croyais, ce n'est pas le torpillage du paquebot Lusitania par un U-Boot le 7 mai 1915 et ses 128 morts américains qui va plonger l'amérique dans le conflit, mais ce sera le "Télégramme Zimmermann" qui sera le boutefeu de leur entrée en guerre. Télégramme intercepté qui promet au Mexique le soutien de l'Allemagne à la reconquête du Texas, l'Arizona et le Nouveau-Mexique.
Le magazine "Lire" n°423 mars 2014 présente : "14-18 Les écrivains et la guerre". On pourrait regretter que le dossier consacré à "La Grande Guerre des écrivains" soit si court. A peine 17 pages et encore, j'y intègre le très complet L'Entretien avec Antoine Compagnon : "La guerre a contribué à la modernité littéraire" (p.49).
On retiendra quelques phrases qui ont pour moi beaucoup de sens : "Août 1914 (l'entrée dans la guerre) entraîna un brutal repli sur soi et un retour aux traditions nationales, à des formes régulières, à des routines littéraires." ; "C'est donc d'abord une régression que le conflit a entraînée, régression qui s'est prolongée durant toute la guerre." (p.50). On ne peut effectivement pas dire que la guerre sera le terreau de grandes oeuvres littéraires. Par contre, se sont ceux qui combattront dans les tranchées qui écriront, quelques décennies après, des chefs d'oeuvres. Pour exemple, "Voyage au bout de la nuit" (1932) écrit par Louis Ferdinand Céline qui fût brigadier à Verdun, ou bien encore "A l'ouest rien de nouveau" d'Erich Maria Remarque (1929).
"Lire" propose sur 2 pages une liste assez exhaustive des "écrivains du front" (p.38), ainsi qu'une "bibliothèque idéale" des ouvrages de la Grande Guerre (p.44). "Les Croix de bois" côtoient "l'orage d'acier", "Ceux de 14" et d'autres chefs-d'oeuvres encore.
Le numéro hors-série de "Télérama" - l'onde de choc dans la culture française est un ouvrage tellement beau que j'ai presque honte de dire qu'il m'a couté moins de dix euros (8€50).