Ce film romanesque est sorti sur les  écrans français le 18 décembre 2013. le géant égoïste (1)Sélectionné pour la "Quinzaine des réalisateurs" de l'édition 2013 du Festival de Cannes.

On ouvrirait un roman de Charles Dickens, "Oliver Twist" par exemple, que l'on ressentirait les mêmes émotions que de se retrouver au coeur d'un voyage auprès du peuple des bas-fonds, chez ces petites gens qui font ce qu'ils peuvent dans l'existence pour survivre. Univers de la débrouillardise. Enfin, le cinéma quitte le cercle de la petite bourgeoisie bien pensante pour s'installer dans la fange. Là où les familles sont trop nombreuses, les gosses hurlent, on ne s'entend plus et les  créanciers attendent leurs dûs sur le palier. Dans ce cas, quand on entre dans l'adolescence, il n'y a pas mieux que la rue pour être tranquille, les copains rassurent et structurent un cadre éducatif. Quant à l'école, et bien on la traverse. Si on y est, tant mieux, mais la plupart du temps, on y est exclu. C'est ainsi qu'est composé le quotidien d'Arbor et Swifty, deux inséparables compagnons.

Si les pères sont absents ou à peine visible, ce n'est pas si étrange que cela car l'éducation des enfants est rarement leur préoccupation première. Ce sont surtout les mères qui font circuler les émotions. Celles-ci touchent, embrassent, pleurent. Les mères aimées par leurs fils qui sont en passe de devenir des hommes.

"Le géant égoïste" n'est surtout pas un film pour enfants. Certes, c'est une fable qui est interprétée par des enfants, mais ceux-ci volent, menacent, insultent, frappent et il n'est pas dit qu'elle se termine si bien que ça.

Quoiqu'il en soit, "Le géant égoïste" c'est à la fois de la littérature et du cinéma d'inspiration néo-réaliste. En effet, si le titre est tiré d'un conte d'Oscar Wilde, on pourrait aussi penser à l'errance asociale de George et Lennie dans cette Amérique des années trente "Des souris et des hommes" de Steinbeck. Comme eux, Arbor et Swifty louent leurs bras au monde de l'argent. Comme pour George et Lennie, la mort s'immisce peu à peu dans un quotidien fait de désoeuvrement.

Mais "Le géant égoïste" est surtout un grand cinéma du passé, surtout pas dépassé. Le néo-réalisme italien transpire dans l'oeuvre de Clio Barnard. Quelle prouesse pour cette réalisatrice anglaise qui signe là son second long métrage. En effet, la dérive des deux héros est portée par leur contexte social. On se rapproche parfois du sublime Vittorio De Sica dans "Le voleur de bicyclette"(1948) (sûrement l'un des films que je préfère), ou mieux, Roberto Rossellini qui, à travers le regard d'un enfant, guidait le spectateur dans les ruines du Berlin de l'après-guerre dans "Allemagne année zéro" (1947).

On s'attache à Arbor et Swifty, ces enfants qui circulent à leur rythme, sur une carriole, à travers les rues de Bradford, cité pauvre au nord de l'Angleterre. Ils font de la récup' : frigo, vieilles casseroles, vélo, carcasse de voiture.

le géant égoïste (2)

Tout se recycle. C'est assez surréaliste de voir que deux univers se côtoient. Dans celui de nos héros, on vole des câbles sur le bord des voies ferrées et on envisage de dérober ceux des lignes à haute tension. C'est dangereux, mais la question ne se pose pas. Forcément, les pylônes électriques masquent tellement le paysage qu'on ne les voit plus. Dans ce monde là, il y a même des courses de trot organisées sur l'autoroute.

Il est rare qu'une fiction montre avec autant de réalisme la misère de l'occident et que ce soit ces petites têtes blondes qui soient barbouillées de saleté et qui circulent, comme des rats, parmi les immondices.

Il faut reconnaître que le casting des enfants est très réussit. Arbor, cet enfant hyperactif qui crie continuellement sa rage au monde, il ne peut être neutraliser que par son traitement. Je suppose qu'il s'agit de méthylphénidate (Ritaline®). Le gros nounours à ses côtés, son copain Swifty, peut le calmer aussi. En fait, ils se protègent mutuellement, à tour de rôle.

Je ne peux que saluer le Festival du magazine "Télérama" qui remet à l'affiche de ce début d'année les meilleurs films de l'année 2013 pour 3 €uros la séance. C'est dans ce cadre que j'ai découvert cette petite perle.