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le Monde de kikushiyo
28 décembre 2013

La vie d'O' Haru femme galante - de Kenji Mizoguchi (1952)

Toutes les séquences de ce film, tous les mouvements des acteurs sont à la base de la création d'une oeuvre très esthétique où le beau geste s'impose. En cela, l'actrice Kinuyo Tanaka en est la quintessence.

La vie d'O' Haru femme galante

Pendant les 2 heures 16 que dure le film, il est difficile de se détacher de ce tourbillon qu'est la vie d'O' Haru, cette courtisane dont le destin est sans arrêt tourmenté par les évènements qui surviennent au gré de ses rencontres. Les hommes qui l'ont aimé d'un amour sincère sont morts, comme si l'on s'évertuait à écarter de la jeune femme ceux qui veulent la protéger et lui donner la possibilité de s'affirmer en tant que personne à part entière. Depuis toujours, se sont les hommes qui composent l'itinéraire de la vie d'O' Haru sans qu'elle puisse être maîtresse de ses choix. Le premier, son père, c'est celui qui, pour payer ses dettes, va la vendre à une maison de courtisanes. Pourtant, O' Haru entretient avec les hommes une relation empreinte d'une certaine forme d'ambivalence, faite de rejet et de protection. Par contre, les épouses voient en cette jeune femme dévouée une rivale potentiellement dangereuse dont elles doivent tenir leurs maris à l'écart. Tout compte fait, O'Haru est une victime des hommes qui ne lui reconnaissent aucun statut. Elle n'est qu'un objet qui s'échange ou se monnaye au gré de leurs désirs. N'est-ce pas de la condition dépréciée des femmes dont il est question dans la société japonaise très patriarcale ?

L'histoire se résume simplement. C'est un long flash-back sur la vie d'O' Haru, à l'origine, jeune femme de bonne famille qui, parce qu'elle est surprise avec un amoureux transi qui appartient à une caste inférieure à la sienne, qui plus est, dans un lieu de petite vertu, va être répudiée de la société des nobles avec père et mère. Ils vont devoir s'exiler. Ceux-ci se retrouvent sans-le-sou. On va donc assister à la déchéance de la vie de cette femme.

Exilée puis prostituée, on verra dans d'autres films de Mizoguchi qu'à cette époque médiéval du 17e siècle la rigueur des coutumes et de la hiérarchie des castes, imposaient à la société un fort étau moral (dans "Les amants crucifiés" (1954), Mizoguchi met en scène la crucifixion de deux amants adultérins. La femme et le serviteur d'un samouraï ont fauté ensemble : "Ils vont être crucifiés et exposés aux yeux de la foule. La honte soit sur eux et leurs familles ! Que les femmes sont effroyables ! Si un Samouraï ne punit pas l'adultère chez lui, il perd son rang et son titre.", "Plutôt mourir par la main de son mari... que de périr aussi honteusement !").

Le film s'ouvre sur la démarche mal assurée d'une Geisha vieillissante, un soir dans une rue déserte. C'est O' Haru. Quelques couples se croisent, les hommes souvent ivres. Les dernières prostituées se retrouvent autour d'O' Haru. Elles rient, fument et, faute de clients, cherchent un peu de chaleur au coin du feu d'un monastère : "Tu n'as pas eu de client ? - A mon âge, il n'y a plus rien à faire." ; "Quand tu étais au palais impérial, tu ne pensais pas que tu ferais un jour un tel métier ! Comment en es-tu arrivée là ? Je veux oublier le passé, ne me demande rien."

La vie d'O' Haru femme galante (2)

Dans ce film de la Toho Company, LTD, en noir et blanc, Mizoguchi instaure un climat dramatique dans chacune des séquences. La photographie de Yoshimi Hirano y apporte beaucoup dans les différents tons de gris. La lenteur donne au film une dimension éthérée, aérienne, presque irréelle. Mais c'est l'interprétation de Kinuyo Tanaka qui a un jeu basé sur la retenue et qui donne la saveur exotique et tout le poids au film. Tanaka, star nippone des années 50's, occupe le haut des affiches de plusieurs chefs d'oeuvres de l'époque (voir le commentaire "La Ballade de Narayama" de Kinoshita. Tanaka y interprète la vieille Orin - cf Le Monde de Kikushiyo). Dans le rôle d'O' Haru, elle est tellement belle et distante qu'elle en devient inabordable. Elle est pourtant prostituée, comme si l'homme, en général, ne méritait pas une femme aussi parfaite. Comme si, pour la posséder, il devait la réduire au rang d'objet et se la payer.

Ce qu'il y a d'étonnant, c'est que dans plusieurs films, Mizoguchi se préoccupe du sort des Geishas : "Je les trouve toutes jolies mais toutes à plaindre." fait-il dire au héros d'un court-métrage de 1929 (東京行進曲 (Tokyo koshinkyoku) - Tokyo March). Le destin d'une prostituée ne permet pas de concevoir une histoire d'amour socialement acceptable, ce qui les cantonne à l'errance entre deux mondes, celui du désir des hommes d'un côté, et celui de la culture et des traditions qui ne semblent pas être toujours compatibles, de l'autre.

Concernant cette thématique réccurente dans l'oeuvre de Mizoguchi de la femme prostituée qui va toucher le fond,  je n'ai pas l'explication. Mais ce sera le sujet d'une multitude de films, des chefs-d'oeuvres du réalisateur nippon, dont le superbe "Les Femmes de la nuit" (1948), toujours avec Kinuyo Tanaka.

"La vie d'O' Haru femme galante" est un film magnifique !

 

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