Le livre parait en 1964. Il est édité à la Bibliothèque La Cosmopolite - Stock.
Tout s'écroule pour cet homme, Bird, quand il apprend que sa femme vient de mettre au monde un enfant handicapé. Là, commence une longue errance dans un brouillard intérieur durant laquelle ce jeune père ne songera qu'à la mort de ce petit être qui ne peut avoir une existence propre puisqu'il est "le monstre".
Toutes les névroses et les démons de Bird vont ressurgir, l'alcool, sa sexualité, sa lâcheté aussi, tout ce qui était en latence depuis tant d'années. C'est surtout la mort qui va s'immiscer au fil du récit. Déjà la sienne puisqu'il est anéanti, même ses projets ne tiennent plus debout et s'évaporent. Son rêve d'Afrique par exemple, avec les cartes Michelin qu'il achetait le jour de l'accouchement. Puis il songe à la mort de l'enfant dont il faut se débarrasser. Cet enfant est vécu comme persécuteur, un astre tueur, un trou noir qui aspirerait toute la substance de l'être de Bird.
Durant le récit, le nourrisson est physiquement très peu présent. Par contre, il envahit tout l'espace mentale de son père. Ce dernier a besoin d'un refuge, c'est chez Himiko qu'il ira, cette ancienne camarade de Lycée va l'héberger. Le Whisky qu'il ingurgite tout au long de son séjour auprès d'elle le détachera de la réalité. Il s'isolera peu à peu des autres, allant jusqu'à perdre son travail de professeur : "j'étais répétiteur dans une boîte à bachot, d'où je viens d'ailleurs de me faire renvoyer." Il vomit son métier, il vomit ce qu'il est aussi.
La naissance de l'enfant handicapé est un acte fondateur pour Bird. C'est à partir de ce moment que le vrai visage du jeune homme, tel qu'il est , va se révéler. Il croisera aussi le chemin d'un ancien camarade. Désormais, ce dernier tient un bar pour homosexuels. Devra-t'il continuer à se mentir à lui-même et aux autres ? "Qu'essayait-il donc de défendre contre ce bébé monstrueux ? Qu'est-ce qui le poussait à fuir aussi obstinément, aussi ignominieusement ? Qu'y avait-il donc, en lui, qui méritât d'être protégé avec une telle frénésie ?" (p.227). D'ailleurs, si l'enfant et l'homosexuel se prénomment Kikuhiko, ce n'est pas par hasard. Ils symbolisent deux étapes essentielles de la vie de Bird.
C'est en lisant la biographie de Kenzaburo Oé que j'ai compris pourquoi dans "Une affaire personnelle" il y avait autant de références à la crainte d'une catastrophe nucléaire. Le livre est écrit en 1965, c'est-à-dire vingt ans après le drame d'Hiroshima. A cette même période, la guerre froide battait son plein et la Baie des cochons n'était pas si loin. Khrouchtchev maintenait la pression en poursuivant les essais de la bombe à hydrogène. On craignait le troisième conflit mondial et atomique. Pour moi, la métaphore devient évidente, l'arrivée de l'enfant handicapé dans la vie de Bird correspond à un séisme d'envergure nucléaire, tout ce qui est de la sphère privée est anéanti, autant dans la vie de Bird que dans un champ, plus vaste, qu'est l'intimité des japonais encore très conservateurs à cette époque. En effet, Ôé aborde à travers le personnage d'Himiko, la question de la libération des moeurs et du droit des femmes. Cette femme maîtresse qui choisit ses partenaires sexuels n'a plus à être sous le joug des hommes depuis que son mari s'est pendu. Aujourd'hui, Bird se soumet à Himiko, jusqu'à accepter de devenir son esclave sexuel. Toutefois, avant d'arriver à cette plénitude sexuelle, Himiko aura dû subir un viol. Souvenir de la boue et du sang mélangés dans la cour de chez elle.
C'est donc bien de la question de l'acceptation de la différence dont il s'agit ici.