Dire que ce film est un chef d'oeuvre, n'est pas un scoop. Sorti en 1949, il obtint la première Palme d'Or à Cannes. Bien que démarré en 1946, le festival décernait des prix jusqu'en 49.
Je l'ai vu hier soir et j'ai passé un agréable moment. Alors qu'une amie anglaise me dit : "Vraiment, je n'arrive pas à aller jusqu'au bout. Excuse-moi d'être partie avant la fin.", prévint-elle.
"Mais qu'est-ce que tu aimes dans ces films ? " continue-t'elle.
"En tout cas, je peux te répondre précisément pour ce film.
Ce que j'aime, c'est d'avoir le sentiment d'assister à un moment de l'histoire du cinéma. Je pense qu'à cette époque on créait, on essayait. Une forme d'artisanat si tu préfères. Bien entendu, les films de Fritz Lang avaient presque 20 ans et M le Maudit ne sifflait plus la mélodie d'Edvard Grieg depuis bien longtemps (voir le commentaire dans Le Monde de Kikushiyo). Le cinéma d'aujourd'hui doit tout à ces monuments cinématographiques précurseurs. Dans "Le Troisième homme", il y a plusieurs séquences qui sont des moments forts. Ces scènes de cinéma dont on se souvient longtemps.
Aujourd'hui, nous sommes abreuvés d'images. Pourrais-tu me dire si tu te souviens du film que tu as vu ce week-end ?(elle n'a pas pu). Dans "Le Troisième homme", je pourrais te décrire précisément la scène de la grande roue de Vienne. Ou encore celle ou Joseph Cotten quitte le domicile d'Anna (Alida Valli) et que le visage d'Orson Welles apparaît dans la pénombre. Et puis, le petit chat qui va jouer avec les lacets de cet étrange inconnu tapi dans le noir. Bien entendu, je pourrais continuer en te parlant de la poursuite finale dans les égouts de Vienne, et ce moment ou Welles blessé, au sommet de l'échelle veut soulever la grille côté égouts. Côté rue, on voit ses doigts qui sortent de nul part et qui bougent tels des serpents qui s'élèvent, charmés par le son du Pungi, ou encore, ces doigts qui se meuvent, comme les tentacules d'une anémone de mer, nonchalants, au gré des mouvements de la houle. De grands moments. On sent que Carol Reed essaie, expérimente. Le cinéma d'aujourd'hui était en cours de création avec ses images qui datent de 1948. Il ne serait pas tel qu'il est si ces inventeurs n'avaient pas ouvert la voie."
C'est en tout cas ce que je ressentais à ce moment précis de ma réponse mais je ne pouvais pas en rester là. Ensuite, c'est moi qui l'ai questionnée car elle n'avait pas besoin des sous-titres, contrairement à moi : " C'est un film anglais. Le phrasé, les mots, la parole de 1948, sont-ils toujours ceux qu'on utilise aujourd'hui ?" (j'avais conscience de la candeur de mon interrogation). Souriante, elle m'a dit que lorsque je regardais "Les enfants du paradis", avais-je l'impression qu'aujourd'hui on s'exprimait toujours comme cela ? "Et bien non" lui ai-je répondu, " Même si on comprend, les intonations ont changées, la mélodie des mots n'est plus vraiment la même". C'était pareil en anglais conclut-elle.
Je préciserai que cette amie reconnaît qu'on a pas besoin d'être un spécialiste du cinéma ou d'avoir fait la Femis pour distinguer précisément les mouvements de caméra de très grande qualité dans "Le Troisième homme". Par exemple, prenons la scène ou, attendu par la Police qui le recherche, Orson Welles apparait sur le toit d'un immeuble : gros plan sur son visage. Ensuite, la caméra quitte le visage et poursuit son mouvement panoramique. Elle longe le toit avant de plonger vers la rue et précisément vers le bar où se trouve son ami Holly (Cotten). Le plongeon de la caméra est savoureux.
Au delà du jeu des acteurs qui peut parfois sembler vieillot, surjoué, j'ai trouvé que le rythme du film était, par contre, très moderne dans son montage notamment. La mise en scène permet de rester en haleine quant au suspens et de ne quasiment pas avoir un instant de répit.
Convaincu par mes arguments, nous nous sommes donnés rendez-vous pour aller voir "Citizen Kane" (voir Le Monde de Kikushiyo), mais ceci est une autre histoire, à suivre donc.
16 mai 2013