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le Monde de kikushiyo
27 avril 2013

Il a dit silence - by Kikushiyo

Il est entré précipitamment, sans même nous adresser un regard, ni un sourire. D'un pas rapide il s'est dirigé vers le grand bureau surélevé. Puis il a déposé sur le meuble sa serviette en vieux cuir râpé. J'ai été surpris, il avait un peu d'avance sur l'horaire. Le vieux Drougeon, lui, arrivait toujours en retard. Pendant ce temps, ceux du fond terminaient leurs échanges. Ils ne l'ont pas vu entrer. Cela s'est passé en un fragment de seconde. Jean-Louis disait à Kevin son admiration pour les clubs allemands, tandis que Lenoir chuchotait à Salim que la peau de Sofia sentait bon la fleur d'oranger.

Kikushiyo raconteAprès avoir relevé la tête dans notre direction, il a dit silence. "Silence" s'est-il repris en haussant le ton cette fois-ci. Les discussions se sont affaissées.

C'était un homme entre deux âges, la quarantaine environ . Son visage m'était familier, plus jeune j'aurais pensé à un acteur, ou bien un contrôleur de train, peut-être. Bref, quelqu'un qui sache faire face à son public. Au premier abord, je n'avais pas distingué son regard marron très clair. C'est surprenant. Il me semble n'avoir jamais vu un regard comme le sien.

Il a fait quelques pas vers l'avant, puis il a posé ses mains sur la table de Sylvia. Sans même lui prêter un soupçon d'attention, il s'est adressé au reste de la classe :

- Je suis Gauthier Malaval. Professeur d'Histoire Géographie, je remplace Monsieur Drougeon et serai donc avec vous pendant les deux prochains mois. J'enseigne cette matière depuis maintenant cinq ans. Auparavant, j'exerçais la profession de géomètre dans une organisation humanitaire. Je couvrais surtout l'Afrique et le Moyen-Orient.

Le directeur m'a indiqué ce que vous avez fait depuis le début de l'année. Je vous propose de poursuivre avec deux objectifs, qui pour moi sont essentiels. Je veux déjà rattraper le retard que vous avez pris sur le programme. Ensuite, je veux vous donner une méthodologie dans la manière d'apprendre au mieux cette vaste matière. Ceci vous permettra d'être a minima autonomes dans vos travaux. Pour ceux qui suivront mon cour jusqu'au bout, vous devriez, au final, comprendre les bases de la  situation géopolitique au Moyen Orient et en Afrique subsaharienne dans la seconde moitié du vingtième siècle. Puisque l'année prochaine vous étudierez le contexte géostratégique de l'Amérique du Nord post 11 septembre, nous n'en parlerons pas cette année. Même si ça en démange certains.

Je préfère vous le dire tout de suite, à mon cour, les meilleurs ne sont pas les plus intelligents, mais ceux qui se documentent et qui, bien entendu, fournissent un minimum de travail à la maison.

Avant de vous présenter le programme des prochains mois, et maintenant que vous me connaissez, nous allons faire un petit tour de table, afin qu'à mon tour je puisse faire votre connaissance.

J'oubliais, j'ai un vrai trouble obsessionnel, je ne supporte pas les retardataires. Pour moi, la ponctualité étant la politesse des rois, je dirai donc que vous êtes tous des rois et que je suis votre précepteur. Quand à vous Mesdemoiselles, je sais que les reines aussi arrivaient à l'heure. Prenez comme exemple Marie-Antoinette qui n'a pas manqué son rendez-vous du 16 octobre 1793 avec Henri Sanson, l'éxécuteur des hautes oeuvres. C'est au programme, nous en reparlerons.

- Nous l'avions écouté béat. Il avait charmé la classe entière, je pense, en tout cas nous étions conquis. A notre tour, nous nous présentions jusqu'à l'heure du repas. Chacun y allant de la description du sport qu'il pratiquait. La danse et ses contraintes pour Sofia et Solène. Kevin et Maxime insistaient sur l'importance que le jeudi le cour ne déborde pas et s'arrête, comme prévu, à 18h30 précise. En effet, depuis que leur équipe était montée dans la division supérieure, l'entraineur leur demandait à l'échauffement un tour de terrain supplémentaire par minute de retard. J'appris encore que Mark, dont les parents étaient séparés, allait voir tous les ans son père à Seattle. Qu'il avait déjà voyagé sur les sept continents. Soledad a dit que la matière qu'enseignait Monsieur Malaval avait toujours été abstraite pour elle, qu'elle n'en saisissait ni les tenants, ni les aboutissants. Que les mathématiques ou le français semblait être des matières concrètes, qu'elle les utilisait tous les jours, ne serait-ce qu'en allant faire ses courses. Mais, que pour finir, elle était prête à faire un effort en Histoire Géographie.

Je le vis sourire puis ouvrir un petit carnet dans lequel il pris quelques notes.

A la fin du premier cour de Monsieur Malaval, nous repartions enthousiasmés. Déjà, il nous conseillait de nous familiariser avec la lecture du Monde Diplomatique :

- L'idéal serait que vous commenciez, dès à présent, à lire au moins deux articles toutes les semaines et de les commenter sur une feuille.

Dès la fin de mes cours, j'avais tenté de joindre Maman sur son téléphone portable. Elle ne répondait pas. Alors je lui laissais plusieurs messages avant qu'enfin, elle ne décroche. Mon argent de poche n'étant pas extensible à l'infini, j'en appelais à son indulgence et lui demandait de passer chez le marchand de journaux :

- Chéri, ne me dis pas qu'à l'école on te demande de lire ce journal de gauche, dit-elle. Tu ne préférerais pas que je te ramène Le Courrier International ? Tu sais, les articles sont très bons, ils sont rédigés par de grands chroniqueurs.

- Non maman, insistai-je, si le prof a dit Le Monde Diplo, c'est Le Monde Diplo. Tu m'écouteras un jour ?

Le soir dans ma chambre, entre une émission de télé-réalité et mon journal, mon choix s'imposait rapidement. Je m'assoupis au troisième paragraphe d'un article sur "L'opposition pacifique des Mapuches chiliens."

C'est maman qui vint retirer le journal de mon lit. Elle le plia, le posa sur ma table de nuit. Elle éteignait la lumière en prenant garde de ne pas faire de bruit.

Kikushiyo - avril 2013

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